Article publié sur le site Internet du journal La Provence le 11/01/2014 – Hier matin, les élus du pays d’Aix ont voté à l’unanimité le principe d’une aide financière au maintien en état de production de l’outil industriel durant trois mois. La course contre la montre continue dans la recherche d’un repreneur.

Le principe d'une aide publique au maintien en état de production de l'outil industriel a été adopté à l'unanimité lors d'un vote debout. Photos Serge Mercier.

A conseil communautaire extraordinaire, affluence peu ordinaire. Hier matin, dans le gymnase de Trets, les quelques rangées de chaises réservées à l’assistance n’ont pas suffi à accueillir l’ensemble du public, dont une grande partie des salariés de LFoundry Rousset, condamné à assister debout aux débats. C’est que ce qui s’y est joué dépassait largement la tension habituelle des échanges politiques tant l’urgence devient le maître mot dans le dossier de la fabrique de puces électroniques de Rousset placée en liquidation judiciaires sans poursuite d’activité le 26 décembre dernier.

L’urgence, c’est donc de maintenir l’outil industriel de la fonderie de silicium en état de production pour qu’en cas d’arrivée d’un providentiel repreneur, il y ait encore quelque chose à reprendre. Le jour de la liquidation, devant le tribunal de commerce de Paris, le ministre du Redressement productif avait annoncé l’obtention d’un délai de trois mois avant le démantèlement de l’usine. Sans pour autant accorder les fonds nécessaires à ces trois mois de veille industrielle, quand les finances propres de LFoundry sont exsangues. Il resterait quelque 800 000 € en caisse selon les représentants des salariés. Il en faut 4,5 millions pour assurer durant trois mois les fournitures en fluides, le confinement de la salle blanche… Voilà donc l’équation sur laquelle ont planché les élus de la Communauté du pays d’Aix (CPA) hier matin.

« Aujourd’hui, nous sommes là pour prendre une décision sur la forme, qui sera précisée lors du conseil communautaire du 15 janvier (à Saint-Cannat, NDLR) », a résumé Maryse Joissains, la présidente de la CPA. Sans surprise, à la fin des débats (le contraire aurait été plutôt risqué d’un point de vue politique pour les élus tentés par un cavalier seul…), le principe en a été adopté à l’unanimité lors d’un inhabituel vote debout, en hommage aux salariés présents dans le gymnase.

« Ils auraient mieux fait d’écouter les salariés »

Reste à définir les modalités précises de l’aide publique. Ceci n’a pas encore été décidé. Vice-présidente de la Région en charge du développement économique et présente hier à Trets, Michèle Trégan a réclamé au représentant régional du Redressement productif, présent lui aussi, une réunion technique « dès lundi (demain, NDLR), pour élaborer une convention État-Région, avec la CPA, et pour mettre en place cette aide sous la forme d’une avance remboursable ». Et décider aussi de la répartition des montants par collectivité, Région, Département, communauté d’agglomération, sachant que la quote-part régionale de l’enveloppe « ne pourra se décider officiellement que lors d’une assemblée plénière qui aura lieu en février ». Un timing administratif incontournable mais qui cadre assez mal avec l’urgence de la situation.

Pour Jean-Yves Guerrini, délégué syndical CFDT des LFoundry, qui est intervenu devant l’assemblée, c’est tout le problème d’un branle-bas de combat général un peu tardif. « Ça fait des années qu’on se bat pour maintenir l’outil et la production, qu’on explique notre situation et qu’on a l’impression de pas être entendus », a-t-il rappelé, tout en remerciant la CPA pour son action du jour. Avant de tourner sa colère vers le ministère du Redressement productif : « Je pense qu’au ministère, plutôt que prendre des mois à discuter avec une multinationale (Atmel, l’ancien propriétaire de l’usine, NDLR) qui, au bout du compte, n’a rien apporté du tout, ils auraient mieux fait d’écouter les salariés. » Lesquels ne digèrent toujours pas de n’avoir pas eu accès au Fonds de résistance économique.

Patrick Maddalone, commissaire régional au Redressement productif, et représentant hier matin Arnaud Montebourg et le préfet, était dans une situation plutôt inconfortable. Et s’il a rappelé devant l’assistance que l’objectif du ministère était bien de « préserver toutes les pistes pour que LFoundry puisse garantir son activité », il confiait aussi, à l’issue de la réunion, que le rôle de l’État dans l’aide publique d’urgence votée hier se bornerait « au contrôle de légalité sur les décisions prises par les collectivités, il n’y aura pas de quote-part financière de l’État en la matière. » Une position qui fait littéralement bondir Jean-Yves Guerrini : « Si je résume, non seulement, ils ne comptent pas nous aider, mais en plus, ils se réservent le droit d’interdire l’aide des autres ! » La marinière n’a décidément pas la cote à Rousset.

General Vision au coeur des débats

La Provence le dévoilait dans son édition d’hier, Guy Paillet, ingénieur français installé dans la Silicon Valley depuis seize ans et directeur de la société Général Vision, porte un projet industriel de redémarrage d’activité sur le site de LFoundry Rousset. Et c’est le maire de Châteauneuf-le-Rouge et élu communautaire qui en est le relais sur le territoire français. Le dossier General Vision a donc été au coeur des discussions hier.

Ce que veut réaliser Guy Paillet, « c’est réunir une équipe d’ingénieurs codétenteurs de brevets exclusifs développés avec de grands groupes comme le numéro 1 mondial du verre, le Japonais Asahi, IBM ou Intel, et en rapatrier la production à Rousset », a rappelé Michel Boulan. Certaines technologies, développées et codétenues par Guy Paillet et dont les débouchés commerciaux existent déjà, comme la puce neuromorphique CM1K, pour l’heure fabriquée à Taïwan, pourraient rapidement être produites en Provence. D’autres pistes à l’étude feraient l’objet de recherche et développement sur le site. L’activité de fonderie de sous-traitance, jusqu’alors la base même du fonctionnement de LFoundry, ne serait plus alors qu’un complément de charge pour un outil industriel qui trouverait en fait sa rentabilité « dans des produits exclusifs fabriqués sur le site », a poursuivi l’avocat.

Voilà pour le modèle industriel, dont un premier jet devrait être déposé au ministère du Redressement productif « dès mercredi », assure Michel Boulan. Reste à réunir un tour de table financier, Guy Paillet n’ayant ni la surface ni l’envie de devenir le big boss à Rousset. Le maire de Châteauneuf a évoqué la piste d’un fonds d’investissement saoudien. Ce qui a littéralement fait frémir l’assistance, les salariés de LFoundry ayant déjà, début 2013, entendu parler d’un providentiel renfort saoudien (le fonds souverain Taqnia) qui s’était évaporé aussi vite qu’il était apparu dans le paysage.

Du côté du commissariat au Redressement productif, on attend de voir le premier dossier concret avant de se prononcer sur le projet de Guy Paillet. « Pour l’heure, nous n’avons rien sur la table mais quand nous l’aurons, nous l’étudierons, comme nous étudions aussi d’autres pistes sérieuses avec d’autres industriels », confie sobrement Patrick Maddalone. « Le ministère du Redressement productif, je les ai deux fois par jour au téléphone, mais ça fait deux mois qu’ils nous font marner, il faut leur dire de passer au braquet supérieur », lui répond Michel Boulan.

Les repères

1995 : Le groupe américain Atmel rachète la fonderie d’European Silicon Structures (E2S) à Rousset.

2010 : Atmel revend pour l’euro symbolique son usine au groupe bavarois LFoundry mais reste propriétaire des murs et du foncier. Atmel s’engage à fourni
r des commandes à LFoundry Rousset pendant quatre ans, délai finalement ramené à trois ans. Trois années durant lesquelles l’actionnaire allemand ne parvient pas à assurer de nouveaux marchés à son site de Rousset mais lui revend en interne plusieurs technologies coûteuses qui n’y seront finalement jamais mises en oeuvre.

2013 : LFoundry Rousset est placée en liquidation judiciaire.

Guénaël Lemouee